dimanche 26 août 2012

Memories of seasons past




Wildwoods infuse my heart
With autumn hues
Whiles autumn songs are heard 
In insect lays.

Now summer's course is run
And autumn lights caress
The tips of snuggling boughs
When day is done.

New times are come, and yet
My lingering thoughs reach out to grasp
Memories of seasons past.


Les bois sauvages revêtent mon coeur
De teintes automnales, 
Tandis que des chants d'automne retentissent
Dans les mélopées des insectes. 

L'été touche à sa fin
Et des lumières d'automne caressent
Le bout des branches qui se calfeutrent
Quand tombe la nuit. 

C'est une saison nouvelle et pourtant
Mes pensées s'attardent 
Sur le souvenir des saisons passées.

Ahae, South Corea, 2012




Le goût de l'absolu

Il y a une passion si dévorante qu'elle ne peut se décrire. Elle mange qui la contemple. Tous ceux qui s'en sont pris à elle s'y sont pris. On ne peut l'essayer, et se reprendre. On frémit de la nommer: c'est le goût de l'absolu. On dira que c'est une passion rare, et même les amateurs frénétiques de la grandeur humaine ajouteront: malheureusement. Il faut s'en détromper. Elle est plus répandue que la grippe, et si on la reconnaît mieux quand elle atteint les coeurs élevés, elle a des formes sordides qui portent ses ravages chez les gens ordinaires, les esprits secs, les tempéraments pauvres. Ouvrez la porte, elle entre et s'installe. Peu lui importe le logis, sa simplicité. Elle est l'absence de résignation. Si l'on veut, qu'on s'en félicite, pour ce qu'elle a pu faire faire aux hommes, pour ce que ce mécontentement a su engendrer de sublime. Mais c'est ne voir que l'exception, la fleur monstrueuse, et même alors regardez au fond de ceux qu'elle emporte dans les parages du génie, vous y trouverez des flétrissures intimes, ces stigmates de la dévastation qui sont tout ce qui marque son passage sur des individus moins privilégiés du ciel.
Qui a le goût de l'absolu renonce par là même à tout bonheur. Quel bonheur résisterait à ce vertige, à cette existence toujours renouvelée? Cette machine critique des sentiments, cette vis a tergo du doute, attaque, tout ce qui fait le climat du coeur. Il faudrait donner des exemples pour être compris, et les choisir justement dans les formes basses, vulgaires de cette passion pour que par analogie on pût s'élever à la connaissance des malheurs héroïques qu'elle produit.
On sait que le tabès, chez les hommes de l'intelligence, évolue avec rapidité vers les centres nerveux supérieurs, alors que chez la brute ou le végétatif, il se développe plus lentement, et préfère s'en prendre aux centres moteurs. Ce tabès moral dont je parle, lui aussi, suivant les sujets, se spécialise: il se porte à ce qui est l'habileté, la manie, l'orgueil, du malheureux qu'il accable. Il brisera la voix du chanteur, jettera de maigreur le jockey à l'hôpital, brûlera les poumons du coureur à pied ou lui forcera le coeur. Il mènera par une voie étrange la ménagère à l'asile des fous, à force de propreté, par l'obstination de polir, de nettoyer, qu'elle mettera sur un carreau de sa cuisine, jamais parfait, tandis que le lait file, la maison brûle, ses enfants se noient. Ce sera aussi, sans qu'on la reconnaisse, la maladie de ceux qui n'aiment rien, qui à toute beauté, toute folie opposent le non inhumain, qui vient de même du goût de l'absolu. Tout dépend d'où l'on met cet absolu. Ce peut être dans l'amour, le costume ou sa puissance, et vous avez Don Juan, Biron, Napoléon. Mais aussi l'homme aux yeux fermés que vous croisez dans la rue et qui ne parle à personne. Mais aussi l'étrange clocharde qu'on aperçoit le soir, sur les bancs près de l'Observatoire, à ranger des chiffons incroyables. Mais aussi le simple sectaire, qui s'empoisonne la vie de sécheresse. Celui qui meurt de délicatesse et celui qui se rend impossible de grossièreté. Ils sont ceux pour qui rien n'est jamais assez quelque chose. 
Le goût de l'absolu... Les formes cliniques de ce mal sont innombrables, ou trop nombreuses pour qu'on se jette à les dénombrer. On voudrait s'en tenir à la description d'un cas. Mais sans perdre de vue sa parenté avec mille autres, avec des maux apparemment si divers, qu'on les croirait sans lien avec le cas considéré, parce qu'il n'y a pas de microscope pour en examiner le microbe, et que nous ne savons pas isoler ce virus que, faute de mieux, nous appelons le goût de l'absolu...
Pourtant, si divers que soient les déguisements de mal, il peut se dépister à un symptôme commun à toutes les formes, fût-ce aux plus alternantes. Ce symptôme est une incapacité totale pour le sujet d'être heureux. Celui qui a le goût de l'absolu peut le savoir ou l'ignorer, être porté par lui à la tête des peuples, au front des armées, ou en être paralysé dans la vie ordinaire, et réduit à un négativisme de quartier; celui qui a le goût de l'absolu peut être un innocent, un fou, un ambitieux ou un pédant, mais il ne peut pas être heureux. De ce qui ferait son bonheur, il exigerait toujours davantage. Il détruit par une rage tournée sur elle-même ce qui serait son contentement. Il est dépourvu de la plus légère aptitude au bonheur. J'ajouterai qu'il se complaît dans ce qui le consume. Qu'il confond sa disgrâce avec je ne sais quelle idée de la dignité, de la grandeur, de la morale, suivant le tour de son esprit, son éducation, les moeurs de son milieu. Que le goût de l'absolu en un mot ne va pas sans le vertige de l'absolu. Qu'il s'accompagne d'une certaine exaltation, à quoi on le reconnaîtra d'abord, et qui s'exerçant toujours au point vif, au centre de la destruction, risque de faire prendre à des yeux non prévenus le goût de l'absolu pour le goût du malheur. C'est qu'ils coïncident, mais le goût du malheur n'est qu'une conséquence. Il n'est que le goût d'un certain malheur. Tandis que l'absolu, même dans les petites choses, garde son caractère d'absolu.
Les médecins peuvent dire de presque toutes les maladies du corps comment elles commencent, et d'où vient ce qui les introduit dans l'organisme, et combien de jours elles couvent, et tout le travail secret qui précède leur éclosion. Mais nous en sommes encore à l'alchimie des sentiments, ces folies non reconnues, que porte en lui l'homme normal. Les lentes semailles du caractère, les romanciers le plus souvent en exposent sans les expliquer l'histoire, remontant à l'enfance, à l'entourage, faisant appel à l'hérédité, à la société, à cent principes divers. Il faut bien dire qu'ils sont rarement convaincants, ou n'y parviennent que par des hypothèses heureuses, qui n'ont pas plus de valeur que leur bonheur n'en a. Nous pouvons constater qu'il y a des femmes jalouses, des assassins, des avares, des timides. Il nous faut les prendre formés, quand la jalousie, la furie meurtrière, la timidité, l'avarice nous présentent des portraits différenciés, des portraits saisissants.
D'où lui venait ce goût de l'absolu, je n'en sais rien. Bérénice avait le goût de l'absolu.

Aragon, Aurélien, Paris, 1944

Lettre de François Mauriac à son fils Claude

Que ta lettre me touche, mon petit Claude! Pendant des années on tient à ses enfants "comme à la prunelle de ses yeux" - mais ni plus ni moins; on n'y pense que lorsqu'ils sont malades. C'est incroyable ce que la jeunesse dure en nous: elle n'en finit pas de mourir et nous empêche de rien voir en dehors de nous. Et puis, voici, tout à coup, l'âge du destin, les coups durs, les années de bilan et les années d'échéances; et ce grand jeune homme qui est là, c'est notre fils: ce que nous aimons le plus au monde et  ce qui nous intimide aussi le plus - peut-être parce qu'il se fait sur nous trop d'illusions, qu'il est le seul avec lequel nous n'ayons pas le droit d'être tout à fait franc. Il est vrai que lorsqu'on a l'étrange destinée d'être le fils d'un homme qui "se commente lui-même par profession", si j'ose dire, en soixante-dix éditions par an, on peut connaître son père mieux qu'il ne vous connaît lui-ùêùe. Hé oui, mon cher petit, quand tu me parles de Gide, des " Faux-Monnayeurs", je me demande: comment passe-t-il à travers ces cercles de feu? Les livres ne sont mauvais que dans la mesure où ils trouvent un complice en nous. Gide serait sans pouvoir s'il n'y avait un démon pour lui ouvrir la porte secrète d'un jeune coeur et lui livrer la clef. Je crois que tu es simple et droit - et cela seul m'inquièterait: ce que je sens en toi de terriblement tendre. Pour la foi, je me réjouis de te sentir plus près que je n'espérais. Vois-tu, sur ce plan là, il faut être très simple; se méfier du "sensible" (j'en ai abusé, j'en abuse...), connaître sa religion et ne pas tout baser sur "le coeur" - parce qu'aux époques de sécheresse, tout flanche. Et surtout, mon chéri, ne pas te monter la tête, ne as attacher trop d'importance aux tentations, aux faiblesses, inévitables. "Si notre coeur nous condamne, Dieu est plus grand que notre coeur" dit Saint-Jean. Le catholicisme n'est pas un système de limitations, de défenses, de préservations: il est amour. Tu préfères Jésus-Christ. Tu te tiens en main, tu te gardes libre pour lui. Mais ne crois pas qu'il t'oblige à renoncer à vivre. Ce que je voudrais, c'est, l'an prochain, te voir plus soucieux de servir, moins enfermé.. Oh! Je te connais/ sur ce plan là, tu es bien mon fils: individualiste en diable! Il faut trouver - c'est très difficile - dans un catholicisme conquérant, une atmosphère de liberté. La grâce nous rend libres. On ne la comprend qu'à mon âge, lorsqu'on connaît le degré d'asservissement où l'accoutumance au mal nous abaisse. A vingt ans, c'est plus dur de comprendre les liens invisibles qui unissent pureté et liberté. Mon chéri, je te souhaite de comprendre qu'il n'y a rien de plus monotone que le vice et que le christ vient rompre dans notre vie un morne enchaînement de chutes. Mais ne rougis pas de ton coeur. Et lorsque tu aimeras, receuille l'amour comme un sentiment sacré. Ne te méfie pas trop des femmes. La femme n'est pas péché "en soi". Et je te souhaite que tu trouves un jour celle qui t'aidera à supporter le dur destin d'un homme. Et sur ce plan-là, mon chéri, quoi qu'il doive t'arriver, quelques soient tes difficultés, dis-toi bien qu'il n'y a personne au monde qui peut te comprendre, te guider, te conseiller avec plus (je ne dirai pas d'indulgence, car je n'aurai rien à pardonner) mais je crois, de compréhension et d'amour.. A bientôt mon chéri, mon grand garçon, mon ami, mon fils bien-aimé.

François Mauriac, Grand Hôtel Cap-Ferrat, Lundi 17 Avril 1933