" La vie après la mort, quant à elle, me paraît hors d'atteinte, on verra bien au moment d'y être. Ce qui est là, et d'une façon très intense, c'est la vie avant la mort, celle où je suis, celle où nous sommes ensemble, celle qui me porte et m'anime. Cette vie-là à une valeur d'éternité, par elle nous expérimentons que nous sommes éternels, car nous sommes vivants par quelque chose qui ne meurt pas, quelque chose qui est là et qui reste, et qui ne dépend pas de nous et que nous ne faisons qu'abriter."
" Je veux aimer ce monde-ci plutôt que d'attendre sa fin, aspirer à la vie ici même plutôt que d'attendre qu'elle s'éteigne et peut être se rallume. Je continue à croire que la mort n'est rien, non parce qu'elle est un passage, mais parce qu'elle est vaincue avant même qu'elle n'arrive, car cette fois-ci les préceptes sont clairs, et l'amour est aussi fort que la mort. Il n'est pas nécessaire d'attendre la mort pour entrevoir cet autre monde de lumière permanente: il est déjà là et la lumière ne s'éteint pas."
De la foi:
" La foi, cette disposition injustifiable, est ainsi la voile, la grand-voile, bien réelle qui se gonfle visiblement de ceci que l'on ne voit pas; et le navire, ce grand assemblage de pièces de bois qui ne saurait sinon où aller, traverse l'océan, aborde des continents dont on ne saurait soupçonner la présence en restant sur la côte, le navire avance vraiment à l'aide d'une grande pièce de toile, que l'on a dressée contre toute évidence, pour capturer ce qui ne peut se décrire, ni se peindre, ni s'attraper. La voile se gonfle."
De la vue:
"Avant l'invention de l'optique géométrique, on imaginait que le regard était un organe. On imaginait que le rayon visuel émanait de l'œil comme une langue de caméléon, traversait l'air aussi vite que la lumière, et venait frapper les objets pour en goûter la forme, la texture et la couleur, puis revenait pour nous le dire, toujours aussi vite. On sait bien qu'il n'en est rien: les objets rayonnent, et l'œil reçoit, un point c'est tout. Mais cette vieille notion de rayon visuel, concept archaïque, curiosité poétique de l'histoire des sciences, reste psychologiquement vraie: on voit ce qu'on sait. "
De l'âme, comme une étendue d'eau:
Pourquoi le Christ chasse les marchands du temple et dit: " Enlevez-moi cela ! Débarrassez moi ça!" ?
" L'âme est un temple, et il veut qu'elle soit vide pour l'accueillir, lui. Il veut débarrasser l'âme des dix mille êtres qui l'encombrent dès qu'elle s'agit, comme une étendue d'eau que l'on trouble, et le reflet qu'elle portait se fragmente en dix mille reflets qui en voilent la transparence, que l'on ne retrouvera que lorsque l'eau aura retrouvé son calme, et dans ce silence, l'image apparaîtra. "
De la musique
" Écouter cette musique (*) qui tout à la fois m'étreignait et me libérait me permettait d'entendre ma douleur qui pendant tous ces mois était restée enfouie, cachée dans je ne sais quel coin d'ombre oùles larmes gelaient, peut-être par ce que Bach que nous écoutions l'un et l'autre, parfois ensemble, transmettait entre nous (**) qui ne se disait pas."
* les passions de Bach
** entre l'auteur et son grand-père
Du parfum:
" Le parfum, étrangement, donne accès à cette vie plus grande qui est la vraie, notre vie dans le temps, qui est insaisissable."
" C'est Marie de Magdala qui ce jour là apporta du parfum pour préparer le corps. Peu importe la confusion de mes souvenirs d'érudit incompétent: cela raconte que la foi, la confiance en la présence, ne vient pas de l'on ne sait quelle apparition mais du regard lui-même, ne vient pas de ce que l'on apporte dans une jarre bien fermée, que l'on serre contre son cœur en allant jusqu'au tombeau au matin de Pâques. "
De la conversion de Saint Paul:
Dans le tableau du Caravage, de la conversion de St Paul, à l'église Santa Maria del Popolo à Rome " ce que Paul étreint sans le saisir, c'est ce qui occupe le centre du tableau et que l'on ne voit pas - lui encore moins car il a les yeux clos - c'est une boule de lumière, une boule centrale, impalpable, mais qui éclaire tout et dont voit l'effet sur les corps. "
Des souffrances
"Dieu n'est pas souffrance, il est joie. On n'adore pas les souffrances du Christ, on les considère, on les surmonte, c'est lui qui les porte, et il ouvre à la joie au delà de ses souffrances. On ne porte pas les souffrances du monde, le Christ le fait, il les supporte, il nous en libère, alors libérés et heureux de notre corps encore vivant, nous essayons humblement de donner joie. "
De la présence de l'autre
" Je te sens maintenant, et non pas l'odeur lointaine de ton parfum, molécules très volatiles qui franchissent les distances, mais l'odeur toute proche de ta peau, que tu dissimules le plus souvent, sauf à moi qui m'approche de si près. Je peux te toucher, et ce qui était forme simple quand je te regardais d'un peu loin devient tout un monde où je peux me perdre avec joie, tant il est grand, et divers. Tout contre ton oreille, je peux murmurer des mots isolés, des phrases courtes dont tu n'entendras que la moitié, mais tu comprendras bien plus ce qui se dit entre nous que lorsque je te faisais d'un peu loin de beaux discours admirables et complexes, qui ne te concernaient pas tout à fait Sentir, toucher, entendre, goûter sont des sens qui sont sans distance. Ce que l'on perçoit, on est dedans, cela vient d'où ça veut, on y est, c'est là, et quand on n'y est on n'y échappe pas, car il n'est pas de paupières aux mains, au nez, à la langue ou aux oreilles. En ces sens-là, que l'on éprouve en silence et les yeux clos, loge l'amour, et c'est là qu'il se déploie. "
Alexis Jenni, Paris, 2014
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